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ORGUE DE DANSE ELOPHE TRESSE

D'après l'étiquette sur le cylindre où il est indiqué : "Arnaud Maitre luthier, facteur d'Orgues et de piano. Place fromagerie et N°1 de la rue Gentil à Lyon", nous pourrions en déduire qu'il s'agit d'un instrument construit par ce Facteur. Or, après quelques recherches, j'ai trouvé effectivement un "Arnaud" à cette adresse mais connu comme marchand de pianos (revendeur des maisons Pleyel, Erard...), orgues, violons, partitions, mais en aucun cas trace d'un quelconque atelier de facture d'orgues. Nous ne savons donc pas grand-chose de cet "Arnaud" en tant que facteur d'orgues à proprement parler. Toutefois, un article paru dans un journal de petites annonces du 11 mars 1815 fait mention d'un orgue à cylindre en tous points identiques à celui qui nous intéresse aujourd'hui, à vendre chez ce marchand. L'activité de cet Arnaud prend fin en 1839.

Après le démontage de l'instrument, j'ai remarqué sous le sommier une inscription "fair par moi Elophe Tresse à Mirecourt" [sic] puis une seconde mention sous le soufflet "fair par moi Tresse à Mirecourt en Leauraine" [sic]... le mystère est donc élucidé quant au concepteur de l'instrument !

 

J'ai donc très rapidement cherché la piste de ce fameux Elophe Tresse en oubliant le marchand de musique de Lyon ! Après de longues recherches aux archives des Vosges, j'ai enfin trouvé un début de généalogie de ce facteur mais pas de trace d'une quelconque activité professionnelle à son nom ! Etait-il ouvrier chez un facteur Mirecurtien ? Nous savons qu'il a aussi travaillé dans un atelier parisien... Le mystère reste entier....

La "Restauration" du 19ème Siècle... (bien des dégâts...)

 

Comme à l'accoutumée, mon travail de restaurateur me pousse toujours au respect de l'instrument et à celui de son concepteur, ainsi qu'à la volonté de ne rien vouloir améliorer ou changer au niveau des paramètres. Mais, ici, la chose est très différente, la faute à une reconstruction au 19ème siècle... (je passerai donc sur la restauration de la soufflerie, du buffet, de la mécanique, etc. qui ont été restaurés avec soin dans les règles de l'art...)

 

Cette transformation a eu pour effet de remplacer l'illustre tuyauterie du 18ème par une neuve, de facture industrielle (avec entailles de timbre) et l'adaptation d'un nouveau cylindre ! En effet, après démontage du sommier des basses, un papier de journal servant à l'enchapage de la règle, nous indique une date : 8 janvier 1879.

Un cylindre "pas d'origine"... ?

 

Comme je le précisais plus haut, le cylindre n'est pas celui d'origine, plusieurs points nous le prouvent...

 

- Sur la peinture du couvercle servant de carte des airs, il n'est fait aucune mention d'un cylindre jouant des airs bien séparés et enchainant sur un air avec une vis sans fin... Or, celui que nous avons présentement joue 5 airs de musique séparés et enchaine sur un air à vis sans fin... ! 

 

- L'étiquette de Arnaud a été collée sur le cylindre et pointée par la suite. C'est pour le moins étrange... Ne devrait-on pas trouver plutôt une étiquette comportant le nom de Tresse ou de la Manufacture qui l'engageait ? Comme nous l'avons précisé plus haut, Arnaud n'était qu'un simple marchand de musique !

 

- Mécaniquement parlant, le diamètre du cylindre est plus petit que celui d'origine. En effet, le trou servant à faire passer la vis crantée des airs a été élargi à l'extrême, ainsi que le système de verrouillage et déverrouillage de cette vis, très haut placé.

 

- Les touches sont anormalement trop sorties de leurs perces, ce qui en résulte beaucoup de jeu dans leur axe.

 

- L'alignement des pointes de touches dans le sens vertical et horizontal ne correspond à aucun picot pointé sur le cylindre et il a fallu trouver nombre de subterfuges pour trouver leur juste place.

 

Fort de ces nouveaux éléments, j'ai enfin compris pourquoi il y avait eu tant de réadaptations dans la tuyauterie... En fait, "les restaurateurs" du 19ème siècle avaient changé tous les tuyaux pour adapter l'orgue à la nouvelle gamme du nouveau cylindre

 

Les facteurs de cette fameuse "restauration" ont du franchement bien s'"amuser" pour adapter tous leurs "bricolages"...

La restauration d'aujourd'hui

 

Ne pouvant retrouver le ou les cylindre(s) d'origine, la tuyauterie et la gamme, un retour historique de l'Orgue d'Elophe Tresse était-il possible ? Pourquoi refaire une tuyauterie d'origine dont on ne connait pas la gamme...? Fallait-il refaire un cylindre neuf en se basant sur un modèle ancien ? Quel aurait été le coût de cette aventure ?

 

Avec le Conservateur du Musée des Gets nous avons donc décidé de laisser l'instrument tel quel...

 

 

Alors que faire du bricolage de mes pairs des siècles passés ?

J'ai donc courageusement remonté l'ensemble du "bricolage" et il m'a fallu des heures durant recoller tous les picots du cylindre tantôt en les sortant tantôt en les changeant (si ce n'est pas redéfinir un nouvel emplacement)  car le cylindre n'était pas franchement rond... sans compter les heures à étudier la musique notée sur le cylindre !

 

Le résultat est plutôt satisfaisant quand on connait les problèmes techniques liés à la reconstruction du 19ème siècle.

 

Découverte de l'instrument et datation

 

A la lecture de la carte des airs, nous découvrons qu'il est inscrit "le Calife de Bagdad". Cet opéra a été composé par François-Adrien Boieldieu et créé en 1800 à l'Opéra Comique à Paris. Cette œuvre très jouée et appréciée en son temps devait donc naturellement et rapidement trouver place dans la musique mécanique. En effet, il était indispensable pour les facteurs d'Orgues de transcrire sur cylindres le plus rapidement possible les œuvres les plus en vogue du moment afin de mieux vendre leurs instruments. Nous pouvons donc en déduire que cet instrument est sans nul doute du tout début du 19ème siècle. Le buffet Directoire nous le confirme.

La peinture

La mention marquée en bas à droite de cette jolie peinture située sur le panneau de fermeture de l'instrument : "Ov. Met . Lib .VIII", nous permet de déduire avec certitude que cette inscription signifie : "Ov" pour le poète Ovide (né en 43 avant J.-C. et décédé en 17 ou 18 après J.-C.). "Met" pour Métamorphoses, "Lib" pour liber, livre en latin et "VIII" pour 8.

Il s'agit donc d'une peinture réalisée d'après le 8ème Livre des Métamorphoses d’Ovide : "La couronne d’Ariane placée parmi les astres".

En effet, après qu'Ariane ait aidé Thésée (grâce à son "fameux" fil...) à entrer et sortir du labyrinthe pour tuer le Minotaure contre la promesse de l'épouser, celui-ci l'abandonne sur l'île de Naxos. Aphrodite, déesse de l'Amour rend donc visite à Ariane dans le but de la réconforter lui présentant en même temps le jeune Dionysos, désireux de l'épouser et de l'emmener loin de Naxos, terre d'exil...

Comme présent de mariage, Dionysos décide d'offrir à Ariane une couronne, forgée par Vulcain lui-même et prie donc Aphrodite de couronner Ariane de cet anneau. Par la suite, Dionysos et les Dieux lanceront la couronne dans le ciel qui formera la constellation Boréale…

Sur la peinture de l'orgue, nous découvrons Aphrodite située en plein centre de l'image couronnant Ariane de la future couronne boréale et Dionysos avec sa couronne de laurier venu se présenter comme futur époux d'Ariane sous le regard amusé des Ménades, des Satyres jouant et buvant du vin et de petits anges tenant les étoiles de la future constellation…

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